GRATUIT: Toi. Moi. Et les Ă©toiles, une romance interdite avec un amour d'enfance
Prologue
Ethan
Jâai faim, tellement faim et maman dit que je ne suis quâun ventre sur pattes, que je devrais ĂȘtre content quâelle me garde parce que je ne sers Ă rien.
Jâai envie quâelle comprenne que je peux ĂȘtre utile pour quâelle mâaime. Moi, je lâaime. Alors je vais chercher Ă manger. Jâai vu cette maison hier avec plein de fruits dans le jardin.
Des pommes, des poires, câest bon les poires. Jâaime leur goĂ»t et le jus qui coule quand on croque dedans.
Tapi derriĂšre le muret, je surveille discrĂštement pour mâassurer que lâendroit est dĂ©sert. Une fois que je suis certain que le champ est libre, je lâescalade et saute de lâautre cĂŽtĂ© pour y dĂ©couvrir une trĂšs jolie maison.
Elle est bien diffĂ©rente de la nĂŽtre. Cette maison doit sentir bon, elle. Jâaperçois les poires tombĂ©es sous un arbre et mâempare de lâune dâelles avant de croquer fĂ©rocement dedans. Jâen gĂ©mis de plaisir.
Câest tellement dĂ©licieux.
Mon ventre grogne depuis deux jours, mais je nâai rĂ©ussi Ă manger que le fond du paquet de cĂ©rĂ©ales quâil restait dans le placard. Je tire sur mon tee-shirt pour y mettre des fruits, mais me rends rapidement compte dâun problĂšme de taille.
Jâaurais dĂ» prendre un sac pour en ramasser plus. Maman dit que je suis bĂȘte. Elle a peut-ĂȘtre raison, sinon, jây aurais pensĂ©.
â Hey, je peux savoir ce que tu faisâ?
Au son de la voix, je sursaute et laisse tomber les poires. Une grande femme mâobserve, les bras croisĂ©s. Elle a lâair en colĂšre. Elle va me gronder et peut-ĂȘtre mĂȘme me frapper. Jâai peur.
Je recule dâun pas, prĂȘt Ă mâenfuir, quand soudain, je lâaperçois. Une petite fille est cachĂ©e derriĂšre la jambe de sa maman. Cette derniĂšre a une main posĂ©e sur son Ă©paule.
Je crois quâelle veut la protĂ©ger. De moi. Parce que je ne suis quâun mĂ©chant garçon. La fillette est aussi blonde que cette dame, mais ce qui attire le plus mon regard, ce sont ses yeux. Des yeux dâun bleu presque translucide.
En la voyant croquer dans un gĂąteau, mon ventre rĂ©sonne bruyamment. Ăa a lâair bon, tellement bon. Elle sourit Ă sa maman une seconde, avant de faire un pas vers moi.
Elle nâest pas en colĂšre comme la dame, et elle est plus petite que moi, alors je nâai pas peur. Je sais me dĂ©fendre.
â Tu veux bien partager avec moiâ?
Lorsquâelle me tend un gĂąteau, jâen reste interdit. Il y a forcĂ©ment un piĂšge. Quand les gens me voient, ils me crient dessus, me frappent, ils ne sont pas gentils. Jamais.
Je ne sais pas quoi dire, alors jâattends, mĂȘme si je meurs dâenvie de lâattraper et de nâen faire quâune bouchĂ©e.
â On peut aussi le donner aux oiseaux.
Elle est folleâ? Je lui arrache des mains et le mange. Câest un gĂąteau au chocolat, câest tellement bon. Ce goĂ»t sucrĂ© est un dĂ©lice. Jâen veux encore, mais je nâose pas le lui demander.
Elle sourit en avalant une derniĂšre bouchĂ©e et sa maman se rapproche. Je me recule dâun pas, mais celle-ci sâaccroupit Ă cĂŽtĂ© de la petite fille en levant une main.
â Nâaie pas peur. Moi, câest Samantha, et voici Livie. Comment tu tâappellesâ?
Je réponds nerveusement. Elle est gentille, elle ne crie pas.
â Ethan.
Elle sourit, ce qui la rend vraiment jolie cette dame.
â Bonjour, Ethan. Jâallais donner un verre de lait Ă Livie et il y a dâautres gĂąteaux. Ăa te dirait de venir prendre le goĂ»ter avec nousâ?
Oui. Jâai envie de hurler oui, mais je regarde autour de moi en me demandant ce qui ne va pas. Ce nâest pas normal, tout ça est trop bizarre.
Devant mon silence, elle se lĂšve et attrape la main de la petite Livie.
â Câest comme tu veux. Tu peux rentrer, on tâattend dans la cuisine.
Livie avance derriĂšre sa maman et me fait un signe pour mâinciter Ă les suivre. Je les observe entrer dans la maison, incapable de comprendre ce quâil vient de se passer. Je pourrais partir.
Attraper quelques poires et partir. Je me baisse et ramasse quelques fruits, mais au moment de sauter le muret, je regarde la porte-fenĂȘtre restĂ©e ouverte. Je repense Ă cette maman qui avait lâair si gentille, et je me dis que moi aussi jâaimerais une maman comme ça. Alors, je pourrais y aller. Juste pour voir ce que câest. Juste⊠un pâtit peu.
Tout doucement, je mâavance vers la terrasse et monte les escaliers avant de les observer Ă la dĂ©robĂ©e. Assise Ă table, la petite fille mâaperçoit au moment oĂč la femme pose une assiette remplie de sucreries et deux verres de lait en face dâelle.
Jâai le cĆur qui bat trĂšs fort et je reste lĂ , Ă les Ă©pier. Livie saute de sa chaise et sâapproche de moi. Quand sa main attrape la mienne, je sais que je vais entrer et jâai trĂšs peur. Alors je serre sa main plus fort, parce que mĂȘme si jâai trĂšs peur, je nâai pas envie de partir.
Chapitre 1
Ethan
Ă vingt-trois ans, jâavais dĂ©jĂ connu la douleur bien plus que je nâaurais voulu la connaĂźtre. Quâelle soit physique ou morale. Et pourtant, un jour, je me suis permis de croire Ă nouveau en la vie.
Parce quâun jour, jâai croisĂ© la route dâune petite fille de six ans, qui mâa profondĂ©ment marquĂ©. En un regard, jâai su quâelle allait bouleverser toute mon existence. Jâavais beau nâavoir que neuf ans, quand mes yeux se sont posĂ©s sur elle, tout ce en quoi je croyais nâa Ă©tĂ© que les prĂ©mices dâun nouveau dĂ©part.
Tout ce que je connaissais alors nâĂ©tait que les coups et la sensation de faim qui mâĂ©treignaient jour aprĂšs jour. Ma mĂšre nâavait dâautre marque dâamour Ă mâoffrir, et les placards Ă©taient trop souvent vides pour me permettre de manger Ă ma faim. Je volais pour assouvir ce besoin.
Tout ce que je souhaitais, câĂ©tait un peu dâamour de la part de cette femme qui, je le savais, souffrait en silence.
Le jour oĂč jâai croisĂ© le regard de la petite fille aux boucles blondes, je nâai rien vu venir. Pourtant, quelque chose sâest insinuĂ© en moi.
Ses yeux dâun bleu presque translucide ont pĂ©nĂ©trĂ© Ă mĂȘme mon Ăąme sans mĂȘme que je ne mâen rende compte. Elle mâa souri et jâai su. Jâai su quâelle mâavait pris au piĂšge. Je suis donc revenu. Encore et encore, incapable de refuser la gentillesse de cette famille parfaite, digne dâune belle publicitĂ© pour dentifrice.
Il est difficile de dire aujourdâhui si jâen tire des regrets. Ce dont je suis certain, câest que jâai aimĂ© cette famille comme si câĂ©tait la mienne. Si au dĂ©but lâexcuse de vouloir manger Ă©tait pratique, trĂšs vite, jâai Ă©tĂ© obligĂ© dâadmettre la vĂ©ritĂ©. Ă chacune de mes visites, je ne souhaitais quâune chose. La voir, elle.
Livie.
La belle Livie.
Les annĂ©es passaient et lâattirance que je ressentais pour elle grandissait. Elle devenait cette jeune femme magnifique, insaisissable. Et puis un soir, allongĂ© dans cette clairiĂšre, je nâai pas pu.
Elle fixait les Ă©toiles au-dessus de nous avec cet air angĂ©lique que jâaimais tant chez elle. Ce jour-lĂ , pour la premiĂšre fois, je me suis autorisĂ© Ă poser mes lĂšvres sur les siennes. Je savais que câĂ©tait une mauvaise idĂ©e. Je le savais et pourtantâŠ
Jâai de la peine pour Greg. Greg, câest son frĂšre. Du haut de ses vingt-cinq ans, il y a cru. Il a espĂ©rĂ© que ce voyage lui donnerait satisfaction. Moi, je savais Ă quoi mâattendre, mais je me suis retenu de lui enlever le peu dâespoir quâil gardait.
Dans une tentative de penser Ă autre chose, jâai dĂ©cidĂ© de profiter des bienfaits de New York. Dâun geste rapide, jâavale la derniĂšre gorgĂ©e de mon verre avant de le claquer sur le bar.
En balayant la salle des yeux, je remarque une belle chevelure rousse tout Ă fait mon goĂ»t. Ăa aura au moins eu le mĂ©rite de ne pas avoir Ă©tĂ© un voyage pour rien. Lorsque je la rejoins, elle mâoffre un sourire Ă demi timide. Elle est canon.
Un peu plus ĂągĂ©e que moi, mais je mâen tape. Ses cheveux dâune teinte aussi vive que le feu, lui tombent en cascade sur les Ă©paules pour sâarrĂȘter sous sa poitrine. IntĂ©ressante dâailleurs.
Quant Ă ses lĂšvres charnues, elles ne me laissent pas de marbre. Alors que jâimagine dĂ©jĂ comment je pourrais en tirer un certain avantage, mon regard rencontre le sien.
La sensation dâun poignard quâon me retourne dans le cĆur me fait rĂ©aliser que ça ne la remplacera jamais. Ses yeux bleus me font penser Ă ceux de Livie. MĂȘme sâils ne sont pas aussi beaux que les siens, mon esprit ne peut sâempĂȘcher de les comparer.
Je me demande ce que cette femme fait toute seule. Le profond soupir quâelle pousse ne cache pas son agacement, mais je compte bien la convaincre. En voyant un serveur passer devant notre table, je lâinterpelle.
â Un whisky etâŠ, je questionne du regard jolie rouquine.
â Une Margarita, rĂ©pond-elle aprĂšs un moment dâhĂ©sitation.
Elle ne doit pas ĂȘtre Ă son premier verre vu ses yeux vitreux, mais je ne vais pas faire la fine bouche. Ce soir, je suis bien dĂ©cidĂ© Ă oublier Livie une bonne fois pour toutes. Fini les journĂ©es Ă me morfondre pour une fille qui, visiblement, nâen valait pas la peine.
â Alors, tu mâattendaisâ?
Je lui offre mon plus beau sourire afin de lâaider Ă se dĂ©rider un peu. Elle soutient mon regard avec assurance, ce qui me fait immĂ©diatement penser que cette expression timide nâĂ©tait quâune façade.
â Ăa marche souvent ce genre de discoursâ?
Mes lĂšvres sâĂ©tirent, amusĂ©es de voir lâaplomb dont elle est sans aucun doute dotĂ©e. Je devine le tempĂ©rament de feu quâelle cache derriĂšre son air penaud.
â Mauvaise journĂ©eâ?
Ses Ă©paules sâaffaissent, vaincues, au moment oĂč le serveur revient avec nos consommations. Je le remercie et avale une gorgĂ©e de mon breuvage, toujours en attente de sa rĂ©ponse.
â Je nâai pas pour habitude dâĂ©taler ma vie Ă de parfaits inconnus.
â Si ça peut te rassurer, jâai connu mieux aussi.
Elle croise les bras sur la table, dĂ©voilant son dĂ©colletĂ© qui me dit que ça vaut vraiment le coup de lâamadouer.
â OK, que fais-tu dans la vieâ?
Et câest parti pour les banalitĂ©s. Ăa ne me dĂ©range pas, je connais mes atouts.
â Photographe.
La surprise se lit sur son visage. Le coup du photographe, ça marche toujours et je nâai mĂȘme pas besoin de bluffer. Elle nâest pas belle la vieâ?
Elle attrape son verre pour en boire une gorgĂ©e et de sa langue, elle lĂšche le coin de sa bouche, me donnant lâenvie dâaccĂ©lĂ©rer le mouvement.
Sa façon de me fixer pourtant mâindique quâelle nâa aucune intention de me faciliter le travail.
â Photographe. Dans quel domaineâ?
â Jâexpose des portraits en grande partie.
Je vois Ă son regard amusĂ© que je lâai sĂ©duite. Je me penche au-dessus de la table.
Quand mon pouce effleure ses lĂšvres pour y recueillir les traces de sel, son sourire sâĂ©largit. Jâattrape sa main et lui demande :
â Et toi, Ă quoi consacres-tu tes journĂ©esâ?
Son expression espiĂšgle promet une bonne dose de surprise.
Elle me fait signe de son index de mâapprocher. Son effluve sucrĂ© me chatouille les narines quand elle murmure Ă mon oreille dâune voix aguicheuse :
â InfirmiĂšre.
Je le savais. Cette fille est un fantasme masculin Ă elle toute seule.
*
â Et voici mon antreâ!
Je referme la porte derriĂšre moi et observe la piĂšce dans laquelle jolie rouquine vient de pĂ©nĂ©trer. Je ne lui ai mĂȘme pas demandĂ© son prĂ©nom, mais vu comment vont finir les choses, on sâen contrefout.
Je lâaurai sĂ»rement oubliĂ©e Ă la minute oĂč jâaurai remis les pieds Ă Cover-Road de toute façon, câest-Ă -dire dans moins de vingt-quatre heures.
Rouquine sâadosse au bar en granit mâoffrant le loisir de dĂ©tailler la piĂšce autour de nous. Ouais, sympa cet appartement. Un peu trop fille Ă mon goĂ»t, mais je suppose que câest normal. Câest simpliste. Salon, salle Ă manger et cuisine ouverte sur le bar, rien dâextraordinaire.
Je me débarrasse de ma veste avant de la rejoindre.
â Je nâen reviens pas⊠dit-elle avant dâajouter plus sĂ©rieusement, tu as quel Ăągeâ?
Ăa ne manque pas de mâamuser.
â Vingt-trois ans.
Son rire résonne dans toute la piÚce.
â Merde, je suis une cougarâ!
Sa rĂ©flexion aura au moins eu lâeffet de nous mettre dans une ambiance festive.
â Tu nâes pas si vieille que ça.
Je me mords la joue, espérant ne pas avoir été désobligeant. Elle pose un doigt sur mon torse en descendant son geste doucement, mais sûrement.
â Je ne suis pas vieille. Jâai vingt-huit ans.
â Aucun problĂšme.
Je ne lui laisse pas le temps de peser le pour et le contre et mâempare de sa bouche. Sa rĂ©action ne se fait pas attendre et elle rĂ©pond Ă mon baiser fĂ©rocement. Je me dĂ©barrasse de mon tee-shirt pour passer Ă lâĂ©tape suivante, mais alors que jâĂ©tais sur le point de remonter le tissu de sa robe sur ses cuisses, elle mâarrĂȘte.
Je suis dĂ©contenancĂ©. Elle ne va pas changer dâavis maintenantâ? Putain, elle mâallume depuis quâelle mâa susurrĂ© quâelle Ă©tait infirmiĂšre et elle me laisserait en plan de cette façonâ?
Je me suis fait tout un scĂ©nario qui nâa pas manquĂ© de mâexciter pendant quâelle voulait quâon «âparleâ». Si elle nâavait pas Ă©tĂ© aussi canon, ça fait longtemps que jâaurais lĂąchĂ© lâaffaire. Alors si elle me plante comme çaâŠ
â Ma coloc va bientĂŽt rentrer, il vaut mieux quâon aille dans la chambre.
Je suis rassurĂ© et ris en la voyant se dĂ©hancher en direction du couloir. Quand je dis quâelle mâallume, ce nâest pas une blagueâ! Lorsque je la rejoins, elle est dĂ©jĂ nue, sa robe Ă©talĂ©e sur le sol.
Je déboutonne mon jean, me débarrassant de tout textile inutile, bien décidé à lui faire crier mon nom.
Chapitre 2
Livie
SoulagĂ©e que mon service se soit enfin terminĂ©, je pose mon plateau sur le comptoir. La journĂ©e a Ă©tĂ© Ă©puisante, et mes pieds me le rappellent cruellement. Fred, le patron du bar oĂč je travaille depuis presque trois ans maintenant, est occupĂ© Ă former un nouveau barman qui, je lâespĂšre, sera enfin la personne de la situation.
Câest le troisiĂšme ce mois-ci et ça nâaide pas Fred Ă garder le sourire. Si seulement il nây avait que ça⊠mais les serveuses dĂ©filent Ă©galement assez rĂ©guliĂšrement. Il dit souvent quâil aimerait pouvoir consacrer son temps Ă des choses plus utiles que le balai des employĂ©s, venant et repartant Ă vitesse grand V.
Mais les journées de vingt-quatre heures ne semblent pas lui suffire pour mettre en route ses projets.
Et voilĂ comment je me retrouve Ă observer Fred jurer, au moment oĂč CĂ©dric, le futur - ou ex - barman mis Ă lâessai depuis Ă peine quelques heures, lĂąche un verre qui se brise en tombant sur le sol.
Jâai de la peine pour lui. Il ne doit pas ĂȘtre beaucoup plus vieux que moi et je me souviens de la pression que Fred mâimposait Ă mes dĂ©buts. MĂȘme si aujourdâhui jâentretiens une relation amicale avec lui, je nâai pas oubliĂ© ses mines renfrognĂ©es, ses piques dĂ©sobligeantes, et lâimpression de nâĂȘtre quâune petite Ă©cervelĂ©e.
Il ne mâaimait pas beaucoup. Bon dâaccord, il me dĂ©testait. Jenny lui avait forcĂ© la main quand je nâessuyais que des refus partout oĂč je postulais. Jâavais surpris une conversation entre eux qui ne mâavait pas beaucoup plu.
Il disait quâil nâallait pas sâemmerder avec une gamine de dix-sept ans, fraĂźchement arrivĂ©e Ă New York qui se prĂ©cipiterait pour pleurer dans les jupes de sa mĂšre au premier accroc.
Ăa mâavait profondĂ©ment blessĂ©e et je nâavais pas manquĂ© de lui faire part de mes pensĂ©es. JâĂ©tais tellement en colĂšre. Ce nâĂ©tait pas vraiment pour son manque de confiance, mais lâimage quâil se faisait de moi.
Ăa faisait bien longtemps que jâavais perdu ma mĂšre et cette rĂ©flexion mâavait fait sortir de mes gonds.
Jâavais seize ans lors de lâaccident, et penser Ă elle est toujours douloureux. Alors sa façon de me prĂ©senter, je ne lâavais pas supportĂ©e.
Contre toute attente, je mâĂ©tais rapidement sentie Ă mon aise, et je lui avais prouvĂ© par ce fait quâil sâĂ©tait lourdement trompĂ© sur moi.
Le boulot de serveuse, je nâen avais jamais rĂȘvĂ©. Mais jâentretiens de bonnes relations de travail, et lâambiance est plutĂŽt agrĂ©able.
Pauvre CĂ©dric. Je pense que comme moi, tout le monde a le droit Ă une seconde chance. Je ne peux cependant pas mâempĂȘcher de rire en voyant mon patron jurer une fois de plus entre ses dents.
Ce qui nâa pas Ă©chappĂ© Ă ce dernier qui me fusille du regard. Comprenant que le moment est plutĂŽt mal choisi, jâefface instantanĂ©ment mon sourire. Sâil y a une chose que je sais sur cet homme de trente-deux ans, câest quâil peut vous faire passer du rire aux larmes avant mĂȘme que vous ne vous en rendiez compte.
Me voyant prise au dĂ©pourvu, ça ne manque pas dâamuser ce dernier qui mâoffre un sourire rassurant. Je lui rends en comprenant quâil ne mâen portera pas rigueur. Il me rejoint rapidement devant le bar, prenant place sur un tabouret Ă cĂŽtĂ© du mien, et laisse le petit nouveau se dĂ©brouiller Ă rĂ©parer ses bĂȘtises.
â Je ne lui donne pas une semaine, me dit-il.
â Laisse-lui une chance, il est nerveux. Ăa fait deux heures quâil a Monsieur grincheux sur le dos.
Fred passe sa main sur son bouc comme il le fait souvent quand il rĂ©flĂ©chit. Je crois quâil compense par cet effet de mode, quâil nâa pas un cheveu sur la tĂȘte, mais ne lui en parlez surtout pas.
Jenny mâa racontĂ© quâil le rasait pour cacher le fait quâil se dĂ©garnissait un peu avant lâheure. Connaissant Jenny, elle nâa pas dĂ» lâĂ©pargner sur le sujet.
CĂ©dric se dĂ©barrasse des bouts de verre dans la poubelle et nous jette un coup dâĆil.
En voyant son sourire revenir, jâessaie de lâencourager par un hochement de tĂȘte discret. Il mâenvoie un clin dâĆil avant de se retourner vers les clients attendant leurs consommations.
â GĂ©nial, et en plus il te drague ! lance Fred.
â Nâimporte quoiâ! je mâempresse de rĂ©pondre en sentant le rouge me monter aux joues.
Fred sourit autant quâil est possible et ajoute :
â Il te drague.
â Non, il est gentil, câest diffĂ©rent. Tu sais, il y a des personnes qui le sont naturellement et qui nâont pas besoin de se forcer pour lâĂȘtre.
â Tu parles de moiâ? sâinsurge-t-il.
Et moi qui croyais que mon patron Ă©tait un ĂȘtre intelligent.
â Bien sĂ»r que non. Jamais je nâoserais insinuer une telle chose. Je tiens Ă mon job.
Il est temps de partir. Je le salue et prends la direction du parking afin de retrouver la douceur confortable de mon lit. Malheureusement, à mi-chemin, je découvre Will adossé à ma voiture.
Le sentiment de culpabilitĂ© que je ressens a beau me rappeler que je devrais tout arrĂȘter, pourtant, je sais que câest la seule façon pour moi dâoublier mon passĂ©. Ou du moins essayer.
Quand jâarrive devant lui, il jette son mĂ©got dâun geste vif, avant de mâattraper par la taille.
â Salut beautĂ©.
Le petit sourire que je tente de lui donner est tout sauf honnĂȘte, et malgrĂ© quâil le sache pertinemment, ça ne lâa jamais rebutĂ©.
*
En entrant dans lâappartement, il ne me faut pas longtemps pour comprendre que Jenny est en bonne compagnie ce soir.
Je vais devoir patienter un peu pour rejoindre mon lit si je ne veux pas assister Ă quelques Ă©bats dont je me passerais volontiers. Jâai Ă©tĂ© tĂ©moin de plus de choses que je ne lâaurais voulu et jâai donc pris lâhabitude de me rendre sur le toit de notre immeuble, en attendant que les tourtereaux aient fini leur petite affaire.
La nuit est un peu nuageuse ce soir, mais on distingue quand mĂȘme les Ă©toiles, et câest ce que je suis venue voir. Les souvenirs sâemparent de mon esprit sans que je puisse en faire autrement.
Toutes ces nuits dans la clairiĂšre, allongĂ©e Ă mĂȘme la pelouse, avec pour seul spectacle la voute Ă©toilĂ©e. Des moments que je chĂ©ris particuliĂšrement. CâĂ©tait un exutoire quand les choses devenaient Ă la limite du supportable.
Alors je sortais par ma fenĂȘtre pour mâenfoncer dans la nuit et rejoindre la clairiĂšre.
Ăvidemment, ça ne plaisait pas Ă mes parents qui criaient quand ils sâen rendaient compte. Mais je ne pouvais pas leur dire que câĂ©tait devenu vital pour moi.
Combien de fois mâavaient-ils demandĂ© des explicationsâ? Mais jâavais toujours su garder mes Ă©motions, les dissimulant derriĂšre des sourires que je maitrisais Ă la perfection.
Les picotements dus au froid me dĂ©cident Ă reprendre la direction de lâappartement. En entrant, le silence qui rĂšgne me rassure. On dirait bien que je vais enfin pouvoir me laisser aller Ă un sommeil bien mĂ©ritĂ©.
Je défais mes chaussures et avance à pas feutrés pour ne réveiller personne.
Lâappartement nâĂ©tant pas trĂšs grand, la cuisine est simplement sĂ©parĂ©e du salon par un bar en granit. MalgrĂ© ce petit espace, je me sens plus chez moi ici que je ne lâai jamais Ă©tĂ© ailleurs.
En passant Ă cĂŽtĂ©, je remarque une veste posĂ©e sur un des tabourets. Il va sĂ»rement y avoir un invitĂ© demain au petit dĂ©jeuner. Câest une veste en cuir, ce qui attise ma curiositĂ©.
Je me mets Ă imaginer quel genre dâhomme Jenny a pu ramener portant ce type de vĂȘtement.
Comprenant que la fatigue me fait partir dans des rĂ©flexions plus quâĂ©tranges, je remonte le couloir.
Et en plus, il a abandonnĂ© son tee-shirt ici. Encore heureux que je ne sois pas rentrĂ©e quelques minutes plus tĂŽt, je lâaurais sĂ»rement regrettĂ©.
En passant devant la porte de la salle de bain, je remarque que celle-ci est entrebĂąillĂ©e. Je la referme, un petit toc pas bien mĂ©chant. Jâavance de quelques pas en direction de ma porte, au moment oĂč un bruit attire mon attention.
Câest lĂ que je le vois.
Lâhomme Ă la veste de cuir.
Il referme doucement la porte du bout du couloir, oĂč se trouve la chambre de Jenny. Sa façon de faire ne fait aucun doute. Il prend la poudre dâescampette. Quel toupetâ!
Je pourrais lui balancer une petite joute dâesprit, mais quelque chose mâen empĂȘche. Une drĂŽle dâimpression parcourt mon Ă©chine au moment oĂč il se retourne. Il sâavance vers moi, les yeux baissĂ©s, en reboutonnant son jean.
La premiĂšre chose que je vois câest son torse nu. Et pas nâimporte lequel. Un torse sculptural qui fait naĂźtre en moi des sensations oubliĂ©es depuis longtemps. Je tente de me ressaisir et relĂšve les yeux vers le visage rattachĂ© Ă ce torse.
Je me fige.
Câest impossible.
Il lĂšve alors la tĂȘte et mâaperçoit.
Il sâarrĂȘte.
Avez-vous dĂ©jĂ entendu ce quâon dit lorsquâon est sur le point de mourirâ? Toutes ces images qui dĂ©filent devant vos yeux, rĂ©sumant en quelques secondes le fil de votre existenceâ?
Jâai beau ĂȘtre en parfaite santĂ©, Ă ce moment-lĂ , câest exactement ce qui se passe. Je nâai jamais oubliĂ© ces yeux verts qui me scrutent avec insistance. La pĂ©nombre ne me permet pas de les distinguer Ă ma guise, pourtant, je sais quâils sont dâune couleur aussi profonde que lâĂ©meraude, teintĂ©e de quelques nuances grises.
Il se tient Ă quelques mĂštres Ă peine de moi, aussi immobile quâune statue, ce qui me fait dire quâil mâa reconnue Ă©galement. Le choc que je ressens fait battre mon cĆur Ă une allure effrayante. Un cĆur que je croyais mort depuis longtemps.
MalgrĂ© les trois annĂ©es qui viennent de passer, je sais que je suis la derniĂšre personne quâil sâattendait Ă voir. Quâil espĂ©rait revoir un jour mĂȘme.
La derniĂšre fois que je lâai vu, je nâavais que dix-sept ans. Lui, en avait vingt, mais ça nâa jamais eu de rĂ©elle importance. Ou peut-ĂȘtre un peu.
Je nâen crois pas mes yeux.
Câest impossible.
Comment peut-il ĂȘtre ici, dans mon appartementâ? Mes questions se meurent alors que je suis incapable de dĂ©tacher mon regard de lâhomme quâil est devenu.
Il Ă©tait dĂ©jĂ un homme Ă lâĂ©poque, mais il parait encore plus mĂ»r aujourdâhui. Ses Ă©paules carrĂ©es parlent dâelles-mĂȘmes. Je frissonne quand je vois son regard sâĂ©garer sur mes jambes, remontant doucement sur ma tenue.
Je porte toujours mon uniforme de serveuse, composĂ© dâun simple chemisier blanc et dâune jupe bleu marine mâarrivant Ă mi-cuisse. Je ne saurais dire depuis combien de temps nous sommes lĂ Ă nous observer sans dire un mot.
Il finit par sortir son portable de sa poche et compose un numéro avant de le porter à son oreille.
â Gregâ? Câest bon, je lâai retrouvĂ©e.
Chapitre 3
Ethan
â Livieâ!
Je martĂšle Ă la porte oĂč elle vient de sâenfermer. Ă peine avais-je prononcĂ© le nom de son frĂšre, quâelle sâest ruĂ©e dans la chambre. Je nâai mĂȘme pas eu le temps de rĂ©agir, quâelle avait dĂ©jĂ verrouillĂ© la porte.
â Livieâ!
Comment peut-elle me faire cet affront aprĂšs tout ce que jâai traversĂ©â? Jâai beau lâavoir dĂ©testĂ©e pour la façon dont elle mâa abandonnĂ©, jâai bien le droit Ă des explications, nonâ?
Et dire que je pensais ce pĂ©riple vouĂ© Ă lâĂ©chec. Je ne comprends toujours pas ce qui a pris Ă Greg de vouloir la retrouver aprĂšs toutes ces annĂ©es, mais pendant les nombreuses heures de route que nous avons partagĂ©es en voiture, il nâa pas arrĂȘtĂ© de me bassiner quâil Ă©tait temps dâaller Ă elle vu quâelle ne comptait pas revenir.
Ăa mâa bien fait rire, mais je me suis retenu de tout commentaire quâil nâaurait que moyennement apprĂ©ciĂ©. Il avait rĂ©ussi Ă trouver avec lâaide de James, un ami de longue date travaillant dans la police, lâadresse dâun foyer, ici mĂȘme Ă New York oĂč elle avait sĂ©journĂ© quelques jours.
Mais aprĂšs ça, plus une trace. Rien. Comme si elle tentait de toutes ses forces de rester transparente pour ne pas ĂȘtre retrouvĂ©e. On en a passĂ© du temps Ă montrer la photo de Livie Ă travers la ville en espĂ©rant que quelquâun aurait croisĂ© sa route, mais on parle de New York.
Câest immense. On ne savait plus quoi faire, oĂč chercher. Greg a suggĂ©rĂ© de rester quelques jours de plus, mais ça nâa rien donnĂ© et on Ă©tait sur le point de repartir demain Ă la premiĂšre heure.
â Mais tâes dingue de hurler comme çaâ?
Je mâarrĂȘte soudain, ayant pris conscience que je nâĂ©tais plus seul. Jolie rouquine mâobserve en resserrant le cordon de son peignoir quâelle a enfilĂ©, et nâa pas lâair dâapprĂ©cier mon attitude.
â Quâest-ce que tu lui veux Ă Livieâ? ajoute-t-elle, les yeux plissĂ©s.
â Je⊠euh⊠câest quoi ton nom dĂ©jĂ â?
Elle se retient de rire en croisant les bras, tout en me fixant avec amusement.
â Jenny, pourquoiâ? Ăa tâintĂ©resse dâun seul coupâ?
Je me maudis Ă cet instant prĂ©cis. Cette soirĂ©e a pris une drĂŽle de tournure, et cette Jenny a lâair beaucoup moins engageante que quelques heures auparavant.
â Jenny, jâai besoin de lui parler, jâaffirme dâun ton un peu trop suppliant.
Elle ouvre la bouche prĂȘte Ă rĂ©pondre, quand des coups Ă la porte se font entendre. Greg sĂ»rement. Elle me contourne, un doigt levĂ©.
â On nâa pas fini cette conversation.
Jâen profite en la voyant disparaitre pour frapper de nouveau Ă la porte de Livie. Je dois lui parler, elle ne pourra pas rester enfermĂ©e indĂ©finiment.
â Livâ! Ouvre-moiâ! Si tu nâouvres pas cette porte, je la dĂ©fonceâ!
Toujours rien.
â OĂč elle estâ?
Je me retourne en reconnaissant la voix de Greg. Sa mine est affreuse, mais Ă©pris dâespoir.
â Elle sâest enfermĂ©e quand elle mâa vu.
Pas la peine quâil sache que câest surtout lui qui lâa fait rĂ©agir. Il nâa pas besoin de ça. Quand elle a compris que jâavais prĂ©venu son frĂšre, elle a paniquĂ©. Jenny fait irruption Ă son tour et parait excĂ©dĂ©e.
â Allez-y, faites comme chez vous. Ne vous gĂȘnez pasâ!
Elle me fusille du regard et jâen fais de mĂȘme. Personne ne me forcera Ă sortir dâici avant de lui avoir mis la main dessus. Greg, sentant la tension, se tourne vers elle.
â Excuse-nous euhâŠ
â Jenny.
â Jenny. Je suis son frĂšre, je la cherche depuis⊠depuis trĂšs longtemps, jâai besoin de lui parler.
Leur conversation commence Ă me fatiguer et je redonne des coups Ă la porte.
â Livieâ!
â Bon arrĂȘte, elle nâest sĂ»rement plus lĂ , affirme Jenny dâun ton sans appel.
Pris au dĂ©pourvu, je la regarde sâĂ©loigner en direction de la cuisine.
Elle ouvre un tiroir et en sort une clĂ© quâelle enfonce dans la serrure. Malheureusement, comme elle lâavait prĂ©dit, la chambre est vide. Jenny me fait un signe comme pour me dire «âje te lâavais bien ditâ».
La nervositĂ© de Greg est visible et monte dâun cran :
â Merdeâ! Ăcoute, on ne lui veut pas de mal. Câest ma petite sĆur. Jâai simplement besoin de lui parler.
Jenny le regarde et semble voir lâinquiĂ©tude sur ses traits. Je commence sĂ©rieusement Ă perdre patience et serre les poings le long de mon corps, espĂ©rant que Jenny prendra la bonne dĂ©cision.
Son hĂ©sitation ne se dissipe pas assez rapidement Ă mon goĂ»t, mais elle finit par se diriger vers la fenĂȘtre en nous expliquant :
â Elle est sur le toit.
Elle pointe du doigt lâextĂ©rieur. En passant la tĂȘte, je dĂ©couvre une Ă©chelle menant vers le haut de lâimmeuble. Je nâattends pas que Greg me donne ses instructions et me hisse par la fenĂȘtre.
En escaladant, je tente de faire le moins de bruit possible. Hors de question quâelle mâĂ©chappe encore une fois. Quand mon pied se pose sur la surface, je la vois.
Il me faut quelques secondes pour me ressaisir en la dĂ©couvrant assise dans un coin, les jambes repliĂ©es sur sa poitrine, la tĂȘte enfoncĂ©e dans ses genoux.
Câest comme si elle essayait de disparaitre. Je mets toute ma rancĆur de cĂŽtĂ©, en la dĂ©couvrant si effrayĂ©e. Je nâai jamais voulu lui faire peur. Je mâavance et mâaccroupis devant elle.
Livie a toujours Ă©tĂ© un peu Ă©trange, mais je la connais mieux que quiconque et je sais quâun truc cloche Ă cet instant. Quand je croise son regard, il rĂ©veille en moi quelque chose que je me force dâignorer.
Le besoin de la toucher sâimpose Ă mon esprit, tout en sachant que câest la derniĂšre chose Ă faire.
Lâexpression de peur que je lis dans ses prunelles finit de mâanĂ©antir, et je dĂ©glutis difficilement face aux larmes quâelle balaye rapidement du dos de sa main.
Les mots me manquent, oubliant presque que nous ne sommes pas seuls sur ce toit. Combien de fois ai-je imaginĂ© ce que je lui dirais quand je la retrouverais enfinâ?
Et pourtant, je reste muet face Ă elle, essayant de trouver des mots qui ne viennent pas. Je jette un coup dâĆil Ă ma droite oĂč Jenny et Greg nous observent.
Greg est tendu et je devine aisĂ©ment toute la pression quâil retient. Jenny quant Ă elle, me fixe avec animositĂ©. Elle me donne lâimpression de guetter le moindre faux pas que je pourrais faire pour sortir ses griffes.
â Livieâ? demande cette derniĂšre dâune voix douce.
Livie tourne la tĂȘte vers son amie. Ne supportant plus la proximitĂ© de son corps, je me relĂšve et recule de quelques pas. En me voyant faire, elle se ressaisit et se lĂšve Ă son tour et rĂ©ajuste son chemisier, les yeux baissĂ©s.
â Tout va bien, Jenny, jâai⊠tout va bien, dit-elle dâune voix neutre.
MĂȘme si elle essaie de feindre une assurance certaine, elle ne me trompe pas. Câest Ă ce moment que ça se produit. Son visage se vide de toute expression.
On ne peut y lire ni tristesse ni joie. Rien. Absolument rien. Indéchiffrable.
Si je nâavais pas assistĂ© au spectacle de ses larmes qui maculaient ses joues quelques minutes plus tĂŽt, je serais incapable de le deviner.
Contre toute attente, elle me contourne par la gauche, mettant encore plus de distance entre elle et son frĂšre. Lorsquâil tente une approche, une alarme se dĂ©clenche dans mon esprit.
Quelque chose que je nâavais jamais osĂ© envisager. Et si tout ça avait un lien avec luiâ? Du plus loin que je les connaisse, ils ont toujours Ă©tĂ© trĂšs soudĂ©s.
MalgrĂ© nos mauvaises blagues quand nous Ă©tions enfants, il Ă©tait trĂšs protecteur avec elle. Trop Ă mon goĂ»t. Ce qui nous a valu de grosses sueurs froides Ă tous les deux les fois oĂč on a failli se faire prendre.
Mon instinct prend le dessus et je mâinterpose entre lui et Livie. MalgrĂ© sa façon de me fusiller du regard, je pose un bras sur son Ă©paule. Je ne veux pas quâil lâapproche. Il a beau ĂȘtre comme mon frĂšre, jâai besoin dâen avoir le cĆur net.
â Quâest-ce que tu fousâ? crache-t-il.
Il nâest pas ravi de mon attitude, mais tant pis.
â Laisse-la tranquille. Regarde-la, elle a besoin de temps.
Et moi aussi. Pour en savoir plus. Ses yeux se posent derriĂšre moi. Livie lâobserve, ses bras enroulĂ©s autour dâelle comme pour se protĂ©ger de quelque chose.
Ăa ne fait que renforcer mes craintes. Pourtant, il y a cette voix qui me rĂ©pĂšte en boucle que câest impossible. Greg ne sâen prendrait jamais Ă elle.
Elle le regarde quelques secondes de plus, avant de baisser la tĂȘte et se retourner vers la porte. Mais au moment oĂč elle pose sa main sur la poignĂ©e, elle sâimmobilise en entendant la voix de son frĂšre :
â Je sais pourquoi tu es partieâ!
Comme si le ciel avait compris la gravitĂ© de la situation, une bourrasque se fait sentir. Le vent se lĂšve, et je tente dâanalyser ce que je viens dâentendre. Il sait. Il sait pourquoi Livie a tout quittĂ© du jour au lendemain sans mĂȘme un mot dâadieu.
Un jour, elle Ă©tait lĂ , et le lendemain elle avait disparu avec une simple lettre disant de ne pas la rechercher. Je ressens soudain une sensation de trahison en comprenant que mon ami mâa menĂ© en bateau.
Toutes ses paroles pour la retrouver nâĂ©taient que du vent.
Je me retourne vers Livie mâattendant Ă tout un tas de rĂ©actions de sa part, mais pas Ă celle-lĂ . Elle Ă©carquille les yeux de surprise et semble encore plus bouleversĂ©e. Il avance dâun pas vers elle en ajoutant :
â Je tâen prie, je suis tellement dĂ©solé⊠petit lapin.
Petit lapin.
Ăa fait des annĂ©es que je nâavais pas entendu ce surnom dans sa bouche.
Elle inspire une grande bouffĂ©e comme si elle avait arrĂȘtĂ© de respirer depuis une Ă©ternitĂ© et avant mĂȘme que je ne mâen rende compte, elle se jette dans ses bras.
Lorsquâil la serre contre lui comme si son existence entiĂšre en dĂ©pendait, des flashs dâune vie oubliĂ©e reviennent Ă la surface. Et en une seconde, tous mes doutes sâenvolent.
Ă la place, câest mon cĆur qui se dĂ©chire un peu plus et jâobserve leur Ă©treinte en pensant que moi aussi jâai attendu trois ans pour la serrer dans mes bras.
Trois ans de secrets et de mensonges.
Trois ans depuis quâelle est partie sans aucune explication...
Pour lire la suite —ïž
Merci. Merci pour ce dernier tome, jâen avais besoin. Ce dernier tome a Ă©tĂ© parfait. Parfait de suspense, de moments incroyables, dâune tension qui vous prend pour ce genre de sujet. Jâai du mal Ă lire ce genre de livre qui ressemble tellement Ă des histoires vraies, qui me bouleverse tellement, mais lâhistoire est tellement puissante en mĂȘme temps quâil Ă©tait impossible de mâarrĂȘter de lire. Jâai passĂ© des nuits entiĂšres Ă avancer dans les chapitres en me disant « plus quâun »...